Traduit par Emmanuel Chastellière
L’histoire : Dans un monde qui a vu naître et disparaître d’innombrables races et civilisations, l’empire malazéen étend implacablement sa domination, soumettant des continents entiers les uns après les autres, grâce à la discipline de ses armées et la supériorité de ses mages de guerre.
Mais la loyauté de ses soldats, abandonnés et trahis par leur impératrice, est mise à rude épreuve. Perdus, abandonnés et déchus, les fidèles de l’empire vont devoir tenter de survivre, entre sacrifices et dangers mortels.
Un complot bien plus vaste se joue en toile de fond. D’anciennes forces terrées dans l’ombre semblent se réveiller, prêtes à tout pour regagner leur splendeur passée. Regroupés sous la coupe du jeu des dragons, dieux et ascendants, sorciers et chamans, Eleints et changeurs de formes, tirent les ficelles d’un drame qui, transcendant les conflits des simples mortels, se joue à l’échelle du temps lui-même.
Avec un enjeu de taille : la suprématie totale.
Mon avis : W.A.H.O.U. Ça, c’est ce qu’on appelle un bouquin AMBITIEUX ! Plus qu’un bouquin d’ailleurs : une série carrément hors norme, avec ses dix tomes aussi denses les uns que les autres (je crois ne pas vous mentir en vous disant que ce premier opus est en vérité le moins « massif » du lot, avec ses 638 pages)… Et pas seulement en terme d’épaisseur : nous voilà face à une œuvre de fantasy proprement colossale. Que l’on parle en terme d’univers, de personnages ou d’intrigue, j’ai rarement rencontré quelque chose d’aussi… Fouillé ! Si l’on devait comparer, disons que cela m’a fait penser à ce que fait un B. Sanderson avec ses Archives de Roshar, ou encore à ce qu’a pu faire Tolkien avec le SDA. Pour autant, les différences avec ces monuments ne manquent pas : plus sombre, moins balisé, ce premier tome m’a surpris par son exigence et sa rigueur. Ce qui explique sans doute la semaine et demi qu’il m’a fallu pour en venir à bout : j’ai en effet eu besoin, à de nombreuses reprises, de faire une pause dans ma lecture pour… Digérer tout cela.
Ce premier tome, donc, nous emmène au beau milieu d’une guerre qui ne parait jamais devoir prendre fin : un continent entier est à feu et à sang, l’empire Malazéen semblant avoir une soif inextinguible de conquête. Les fronts sont multiples, et nous nous retrouvons à suivre une multitude de personnages de différentes factions aux quatre coins de cet immense continent. Des soldats déchus au bord de la révolte aux habitants un tantinet particuliers de la prochaine ville-cible de l’Empire, le panel des personnages est large…
Et c’est l’un des reproches que l’on a fait au roman : une galerie trop imposante, des personnages pas toujours détaillés avec la même précision, bref… Trop, c’est trop ! Je trouve pourtant la réflexion malavisée : après tout, l’auteur ne nous a-t-il pas prévenus en début de récit ? Ne nous a-t-il pas dit qu’il ne comptait pas faciliter la tâche de son lecteur en lui offrant un récit balisé de toute part, en lui offrant des béquilles pour mieux avancer ? Alors oui, une chose est sûre : Le livre des Martyrs n’est peut-être pas LA série idéale pour se mettre à la Fantasy. Sans s’adresser uniquement à des lecteurs chevronnés, on lui préfèrera tout de même un public sachant plus ou moins s’y retrouver dans des cycles, disons… Touffus. Parce que les personnages, d’accord, c’est une chose. J’ai d’ailleurs personnellement trouvé que l’on s’y retrouvait quand même plutôt bien, et que ceux qui étaient davantage mis en valeur étaient suffisamment peaufinés pour nous faire oublier la rapidité de l’auteur à nous présenter ceux venant ensuite (d’autant plus que l’auteur ne verse jamais dans le manichéisme et que ça, j’aime beaucoup, beaucoup). Question de point de vue, donc.
Les personnages, du coup, mais aussi l’intrigue : pourquoi cette guerre, pourquoi tous ces camps différents ? Les indices sont minces, et il faut accepter de baigner dans l’inconnu et l’incertitude avant d’avoir quelques éléments de réponse. Il en va de même pour l’univers : si les descriptions de l’auteur sont particulièrement propices à faire émerger dans votre esprit les paysages les plus fous (mon coup de cœur va personnellement pour Darhujistan, même si j’ai été particulièrement marquée par l’une des premières scènes, avec le carnage orchestré par les Molosses), tout est loin d’être explicité : le système de magie est complexe, et le livre ne s’accompagne pas d’un traité nous permettant d’en comprendre les principes dans le détail. Contrairement à un B. Sanderson qui fait un véritable travail d’ethnologue en s’arrangeant pour présenter les peuples qu’il met en scène dans les moindres détails, Steven Erickson préfère, quant à lui, distiller tout cela au compte-goutte. En commençant ce roman, il vous faudra donc accepter de ne pas avoir TOUTES les réponses à vos questions, il vous faudra accepter le pacte proposé par l’auteur : celui-ci sait où il veut nous emmener, nous n’avons plus qu’à lui faire confiance et guetter, lire avec une minutie rigoureuse pour repérer tous ces petits détails faisant le sel du récit. Et apprécier la maitrise de l’auteur, qui a peaufiné son travail pendant près de 18 ans avant de se lancer dans l’écriture : c’est du grand art !
Bien que le déroulé du récit soit fort différent de ce que j’affectionne d’habitude (vous connaissez mon goût pour les digressions qui nous permettent de tout savoir sur tout), il faut tout de même bien dire que j’ai fort, fort apprécié ce premier tome, à un point tel qu’il ne fait absolument aucun doute que je lirai la suite… Malgré le fait que le deuxième opus ne suive pas à proprement parler les aventures des héros rencontrés dans le premier. Peu m’importe ! L’univers reste le même, et nous en apprendrons cette fois plus sur une autre partie du territoire, sur des protagonistes encore peu développés, ce qui ne manque pas d’attiser ma curiosité 🙂 Je rejoins donc avec bon cœur la horde de lecteurs conquis par cette réédition, et ne peut que remercier les éditions Leha d’avoir eu la merveilleuse idée de se lancer dans le projet… Et l’une de mes chères collègues pour m’avoir dit : « Lui, il va CARRÉMENT te plaire ! ». Comme quoi, je suis cruellement prévisible, non ? 😛
En bref, un premier tome ambitieux et prometteur, nous plongeant dans un univers vaste aux mille et une possibilités : l’auteur maitrise son sujet et, si nous ne disposons pas de toutes les clés pour décoder son univers, la superbe performance qu’il réalise n’en est pas moins appréciable. L’ambiance est sombre, les personnages torturés, l’intrigue suffisamment complexe pour nous tenir en haleine de bout en bout, les rebondissements nombreux et bien amenés, la plume très évocatrice, bref… C’est vraiment, vraiment très bon !

Belle chronique ! 🙂
Merci Emmanuel ! Je me disais bien que j’avais oublié quelque chose dans cet article… Votre travail de traduction fut impressionnant ! Je suis tombée sur le forum où vous discutiez des potentiels noms de Caladan Rumin, c’était fou ! On n’imagine pas tout ça une fois que l’on a le livre entre les mains 🙂
Ah, merci beaucoup ! 🙂
Je pense que je vais essayer de lire ce premier opus, qui me tente bien 🙂
J’espère que je ne me poserai pas trop de questions (tu dis qu’au début on est un peu perdu) 😉
Donc merci beaucoup pour cette chronique, qui m’a donné envie de lire ce livre !!
Il me le faut !!!