Couverture réalisée par Aurélien Police
L’histoire : Bangkok. Demain.
Le régime politique vient de changer.
Le dérèglement climatique global a enfanté une mousson qui n’en finit plus.
Dans la mégapole thaïlandaise pour partie inondée, un assassin implacable s’attaque à la facette la plus sordide du tourisme sexuel. Pour le lieutenant Tannhäuser Ruedpokanon, chargé de mettre fin aux agissements de ce qui semble bien être un tueur en série, la chasse à l’homme peut commencer. Mais celui que la presse appelle Dragon, en référence à la carte de visite qu’il laisse sur chacune de ses victimes, est-il seulement un homme ?
Mon avis : Le Bélial’ est décidément en passe de me convertir définitivement au texte court, avec cette collection qui ne cesse de me surprendre ! Au menu du jour, le tout premier titre publié avec le label Une heure lumière (oui, j’aime bien prendre les choses dans le désordre) : Dragon, de Thomas Day. Une première avec l’auteur, soi-dit en passant : j’ai bien La voie du sabre dans ma PAL depuis… Ffff, des années, mais je n’ai jamais trouvé le temps de m’y plonger. Croyez bien qu’après cette lecture, j’envisage très sérieusement de le sortir des tréfonds de ma bibliothèque 🙂 Mais revenons à nos moutons : sur les onze titres que comporte la collection, j’en suis donc à mon quatrième. J’avais été hypnotisée par Un pont sur la brume, envoûtée par Le choix, et… Terrifiée par L’homme qui mit fin à l’histoire. Une lecture qui, si elle remonte à bientôt un an, n’a rien perdu de sa force extraordinaire. Et, pour tout vous dire… Je pense qu’il en sera de même avec Dragon : une nouvelle fois, j’ai reçu un coup porté en plein figure. Une nouvelle fois, je me suis retrouvée prostrée avec mon livre entre les mains, incapable de retenir mes larmes.
Avec L’homme qui mit fin à l’Histoire, Ken Liu mettait sur le devant de la scène les atrocités commises par l’unité 731, un groupe de travail japonais s’étant livré à l’expérimentation humaine dans le but d’élaborer des armes bactériologiques. Des exactions menées il y a maintenant plusieurs dizaines d’années. Thomas Day, lui… Nous parle d’horreurs commises de nos jours, bien que son roman se situe dans le futur. Des horreurs passées sans trop de mal sous silence, représentant un joli petit magot : la prostitution enfantine au cœur de la Thaïlande, à Bangkok. Un sujet oh combien sensible, qui m’a mise terriblement mal à l’aise : l’auteur n’est pas décidé à donner dans l’épuré ou le faux-semblant pour épargner un lecteur un peu trop sensible. Nous découvrons donc une ville à moitié immergée, dans un monde en proie à d’importants bouleversements climatiques. Je crois ne pas me tromper en vous disant que nous n’avons pas de temporalité clairement définie : ce n’est simplement pas aujourd’hui, mais demain. Avec quelques notes fantastiques disséminées ça et là, l’auteur place bien son roman dans un contexte SFFF… Et pourtant. Pourtant, on croirait assister à un documentaire plus vrai que nature. Un documentaire mettant en lumière la bassesse la plus vile, les perversions les plus odieuses. L’atmosphère du roman est à l’image de la ville qu’il dépeint : moite, putride, rance. Malgré mon dégoût et la nausée que cette lecture n’a pas manqué de me faire ressentir, elle m’a également procuré une certaine… Jouissance. Parce que Dragon est avant tout l’histoire d’un tueur. D’un assassin sans pitié, doté d’une mission quasi-divine : nettoyer de fond en comble ce bouge corrompu, faire payer les bourreaux ignobles de ces innombrables enfants. Et malgré la violence des scènes, de cet homme oh combien énigmatique, on ne peut que frémir de… De quoi ? De contentement ? D’une joie féroce ? Le mot me semble inapproprié, et pourtant : que ces gamins soient vengés, que ce monde injuste paye enfin ce qu’il doit… Je n’ai pu qu’approuver. Malgré les méthodes utilisées. Et si une part de moi en appelait désespéramment à la morale, rejetant violence et règlements de comptes, l’autre… L’autre ne pensait qu’à ces enfants. Personne n’avait fait preuve de douceur, de commisération, de charité envers eux. Pourquoi donc traiter leurs tourmenteurs avec plus d’égards ? Autant vous dire que les sentiments qu’il a suscité en moi furent d’une rare violence, et d’une ambivalence profonde.
Ambivalents, les personnages le sont également. Dragon, donc, particulièrement intrigant et que nous découvrons petit à petit, mais aussi l’inspecteur chargé de l’arrêter : Ruedpokanon. On pourrait croire avoir affaire à un héros tout à fait lambda en lisant les premières pages… Et pourtant, il n’en est rien : connaissant particulièrement bien les bas-fonds de Bangkok, familier du milieu glauque de la prostitution, homosexuel amateur de ladyboys, en quête d’un amour parfait tel que lui seul peut le définir… Nous sommes loin, très loin de l’enquêteur stéréotypé, quelque peu caricatural avec son passé légèrement trouble. Ruedpokanon est un personnage extrêmement fort et, là où un autre n’aurait fait figure que de simple personnage secondaire un peu pâlichon face à la présence (physique, littéraire, tout ce que vous voulez !) de Dragon, lui tient la barre haute, et permet au roman de s’offrir un véritable bras de fer entre deux protagonistes d’exception.
Mais le véritable tour de force… Transcende, si j’ose dire, tout cela : celui-ci réside bien, effectivement, dans le format du roman. Format coup de poing, mais oh combien adapté ici, ce texte court est une véritable performance pour Thomas Day : en l’espace de 160 pages, l’auteur fait absolument TOUT. Ses personnages naissent sous nos yeux avec une justesse saisissante. Son intrigue nous prend aux tripes, tant par son atmosphère qui nous colle à la peau que par les questions qu’elle soulève, agitant en nous les émotions les plus contraires, les plus violentes. L’élément fantastique, si justement dosé, s’instille dans ce roman aux ténèbres si profondes que je n’ai pas de mot pour les décrire. Et le tout… Le tout nous laisse pantelant, chaviré, lessivé. En 160 pages, l’auteur nous assène une claque monumentale, tant sur le fond que sur la forme, et nous prouve une fois pour toute que la casquette de chef d’œuvre n’est pas réservé aux pavés de 1000 pages : c’est un coup de maitre.
Je pourrais en parler pendant des heures. Je pourrais, si mes pensées ne partaient pas dans tous les sens, encore sous le choc de cette lecture. J’ai rarement été bouleversée ainsi, et le ne serai sans doute pas de sitôt. Ce qui est plutôt drôle, c’est que la dernière fois que c’est arrivé… C’était avec un autre titre de la collection. Quand je vous dis qu’il ne faut pas passer à côté… 😉

Rhaaa ! Quand t’auras fini de me faire commander des livres hein !!!
Comment faire autrement après une chronique pareille… il me le faut !
Je te comprends parfaitement sur le ressenti. j’ai été également frappée par la lecture, et si la structure narrative peut surprendre initialement, elle permet de s’interroger davantage et de se laisser surprendre. Un livre fort pour moi aussi.
J’avais aussi beaucoup aimé, j’ai attaqué la collection par celui-ci (je lis dans l’ordre, bête et discipliné l’ours 😀 ) et ça reste un de ceux qui m’ont le plus marqué, avec un pont dans la brume et 24 vues du mont fuji.
Je ne les adore pas tous mais dans l’ensemble c’est une excellente collection, j’achète toutes les parutions dès la sortie
J’ai prévu de le lire bientôt, j’espère qu’il ne va pas traumatiser l’âme sensible que je suis ^^.
Tu me tentes énormément avec cette chronique ! Une collection qu’il va falloir que je découvre…
J’aime beaucoup ce que j’ai lu de cet auteur jusqu’à présente, je note celui-ci !